Comment intégrer les personnes en situation de handicap dans les entreprises ? C’est le défi auquel sont confrontés de nombreux dirigeants ou DRH. Certains en font un axe majeur de leur politique RSE. D’autres, particulièrement engagés dans la Qualité de Vie au Travail (QVT), font de l’inclusion un pilier incontournable de leur stratégie RH… et ne se limitent pas seulement au handicap. 

Entretien avec Laure Couty, fondatrice de CAP!. Elle nous parle d’inclusion et livre des conseils pratiques aux dirigeants pour aller vers une entreprise plus inclusive.

Laure Couty, CAP Inclusion

Peux-tu rapidement te présenter ?

Je m’appelle Laure Couty. J’ai pour « fil rouge » professionnel le handicap. Après avoir été travailleur social pendant 10 ans auprès de personnes en situation de handicap, j’ai ensuite été cadre en MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) pendant 6 ans. Après ces expériences, et parce que j’avais à cœur de pouvoir transmettre, j’ai décidé de me former à la direction d’établissements spécialisés. Et c’est là qu’une fois diplômée j’ai créé « CAP ! »

Mon entreprise est à la croisée de tout mon parcours : elle me permet de conjuguer mon expérience de terrain, mon expérience administrative et d’apporter ainsi la technicité manquante à mes partenaires pour qu’ils puissent être de véritables acteurs de l’inclusion. 

Comme j’aime à le dire, je vois très bien « comment tout fonctionne mais aussi comment tout dysfonctionne »

Voilà pourquoi mon action vise à présent à faciliter l’inclusion des personnes en situation de handicap en entreprise, à l’école, en crèche en somme dans chacun des coins et recoins de la vie. Pour cela je forme, je sensibilise et j’accompagne les organisations de tout type sur des projets à haute valeur inclusive.

On parle beaucoup d’inclusion mais concrètement, qu’est-ce que c’est ?

A l’échelle de la société, et de chacune de ses strates, ce n’est ni plus ni moins que de faire en sorte que chaque personne puisse accéder à ses droits et faire ses propres choix sans que l’environnement, et tout ce qui le compose, ne fasse barrage à ça.

Pourquoi l’environnement ? Car c’est précisément lui qui, lorsqu’il n’est pas pensé pour tout le monde, génère des « situations de handicap ». 

Prenons l’exemple d’une personne qui se déplace en fauteuil roulant. Elle doit se rendre à l’école pour y chercher ses enfants. Elle peut parcourir seule le chemin parce que la voirie a été pensée pour les personnes à mobilité réduite (mais aussi pour les parents poussant un landau, les personnes ayant des difficultés pour marcher, etc.) et l’entrée de l’école est accessible. Aucun obstacle ne se présente à elle. Dans ce cas de figure, elle sera autonome et il n’y aura donc pas de « situation de handicap ». 

Si par contre dans le cadre de son travail, par exemple, l’encadrement de porte n’a pas été pensé suffisamment large pour qu’elle puisse accéder à son lieu d’exercice professionnel, là, il y aura une « situation de handicap ». 

Cet exemple peut être décliné à l’infini car, dans les faits, il existe autant de situations de handicap qu’il y a d’individus confrontés. C’est d’ailleurs pour cela qu’il n’existe, à l’échelle de l’entreprise, aucune « liste » d’aménagements par exemple.

Beaucoup d’entreprises revendiquent un engagement en faveur de l’inclusion. Communication ou changement concret ? 

A l’échelle des entreprises, mais aussi plus largement, il n’a jamais autant été question de valeurs fortes telles que la bienveillance, le respect de soi, de l’autre, de notre planète. Cela peut se retraduire par exemple par des accords QVT, RSE.

La politique « Handicap » ou « Diversité » se raccroche à merveille à toutes ces notions-là car pour moi, elle en fait partie intégrante. En effet comment prétendre prendre soin de son client si au départ l’on ne se soucie pas de chacun de ses salariés ? Et ne pas être cohérent sur ces deux aspects, voire être contradictoire, et afficher publiquement l’inverse s’apparente clairement à ce que je nomme volontiers du « handiwashing ».

Personne handicapée au travail

Prendre en compte les situations de handicap au sein de son entreprise revient à en tenir compte : on ne juge pas, on ne stigmatise pas mais on avance tous ensemble et on construit en toute bienveillance. Ce qui est pensé « adapté d’emblée » sert à tous !

Un exemple à ce sujet : saviez-vous que les SMS avaient été pensés initialement pour les personnes malentendantes ? In fine je crois que l’utilisation de ce mode de communication nous sert bien, à tous, qui que nous soyons !

Et à l’échelle individuelle cela permettra aux personnes concernées de sortir de situations pour certaines dramatiques. J’ai bien conscience du tabou qui existe mais je vous invite simplement à le dépasser. J’ai rencontré trop de personnes qui au sein de leur organisation de travail étaient clairement en « situation de handicap ». Pour ces personnes plutôt que d’en faire part à leur employeur et envisager ensemble des aménagements, elles s’enfermaient dans leurs douleurs, dans leur souffrance… Je pense que nous sommes beaucoup à trouver cela inacceptable et c’est pourtant ce qui continue de se produire, chaque jour. 

Parlons des situations de handicap, déconstruisons ensemble ce tabou et allons de l’avant.

Est-ce qu’une politique en faveur du handicap s’oppose à la performance dans une entreprise ? 

Certaines idées ont la vie dure. Ce qui diffère de nous, de la norme, est souvent vu et perçu comme une entrave, une barrière, un obstacle : oui si l’on ne tient pas compte des spécificités des uns et des autres cela nous conduit inévitablement à ce résultat. C’est là aussi beaucoup de bon sens.

Si vous ne tenez pas compte des spécificités de chacun de vos collaborateurs et donc des difficultés qui peuvent être les leurs, vous allez forcément perdre en performance mais je pense que vous perdrez aussi en capital confiance avec tous les effets que cela comporte.

A l’inverse avoir une connaissance fine de son équipe, des potentiels de chacun revient par conséquent à composer avec l’ensemble de cette richesse-là. Les dirigeants, les DRH et les managers sont tous trois des facilitateurs de l’inclusion.

Lorsque j’étais cadre, j’avais dans mon équipe une personne qui était en fauteuil roulant des suites d’un accident de la voie publique. Outre ce point elle était surtout très fatigable du fait des douleurs chroniques auxquelles elle était sujette. De plus pour rejoindre son lieu de travail elle avait chaque jour 80km à parcourir qui ne pouvaient se faire qu’en voiture. Alors pendant un temps elle a compensé, avec tout ce que cela comportait : elle allait vivre la semaine chez son frère pour ne pas avoir à souffrir du trajet, coupée physiquement de son mari et de ses enfants. Ce n’était pas par choix.

Jusqu’au jour où le télétravail a enfin été admis et accepté à l’échelle de l’organisation. Depuis ce jour, elle travaille de chez elle. Son équilibre a été retrouvé, et ses douleurs chroniques ont diminué. Quant à sa propre performance : elle a augmenté.

Handicap force pour entreprise

Comment une entreprise peut-elle devenir plus inclusive ?

Pour moi c’est d’abord une philosophie pensée à l’échelle du groupe, de l’entreprise, de l’organisation. La mise en place d’un accord peut être un véritable levier à la condition que l’entreprise, l’équipe dirigeante fasse figure d’exemplarité en la matière. 

L’un des autres leviers pour consolider une politique Handicap consiste à former sur le sujet les personnes occupant des postes hautement stratégiques : dirigeants, responsables des ressources humaines et managers. Chacun, à sa place, aura à porter des éléments très concrets de la politique Handicap de l’entreprise.

De manière très opérationnelle : n’hésitez pas à vous faire accompagner dans le recrutement, les démarches, les aménagements. Les procédures peuvent être quelquefois longues et complexes mais ne vous découragez pas, entourez-vous !

Le dernier point qui pour moi est essentiel consiste à assurer un suivi de chaque situation individuelle. Car oui recruter une personne et aménager son poste est une chose mais il s’agit aussi pour moi de veiller régulièrement à l’adéquation personne – poste de travail – missions afin que chacun de ces points soit constamment en équilibre.

As-tu un exemple d’entreprise inspirante en matière d’inclusion ?

Je pense en particulier à cette dirigeante d’une auto-école du nord de l’Alsace qui m’a raconté un jour avoir eu dans ses prospects une personne sourde. Elle aurait pu décliner comme d’autres l’avaient déjà fait avant elle. Eh bien non : elle a appris la langue des signes pour accompagner ce jeune. Pour moi, dans son approche, cette dirigeante a tout compris de ce que revêt la dynamique d’inclusion. Je suis convaincue que si une situation semblable devait se présenter au sein de son équipe elle saurait, là aussi, s’adapter.

A l’inverse certains exemples sont érigés en modèle mais bien souvent je suis mal à l’aise avec ces derniers. Penser et mettre en œuvre un dispositif inclusif c’est le penser pour tout le monde y compris pour celles et ceux qui ont des spécificités de fonctionnement. Lorsque l’on crée un dispositif « à part » nous excluons automatiquement. C’est précisément ce que s’est produit jusqu’à maintenant : à force d’avoir voulu protéger nous avons fini par mettre à l’écart. 

Quels sont tes projets ?

Contribuer à rendre notre société plus inclusive nécessite pour moi d’intervenir en beaucoup de lieux et pas uniquement dans les entreprises.

Mes projets les plus actuels concernent, par exemple, l’accompagnement d’une micro-crèche. Dans ce travail je forme l’équipe en place. Mais mon projet vise surtout à faire lien entre des parents concernés qui bien souvent ne s’autorisent pas à aller vers une structure qui n’est pas « spécialisée » et des professionnels qui ont souvent peur de mal faire et ont besoin d’être outillés. Je suis là pour tisser ces liens manquants et rassurer.

Un autre projet porte sur la formation d’enseignants. Penser l’école inclusive et la mettre en œuvre sont deux choses complètement différentes. L’école n’a jamais été pensée pour tous et vouloir qu’elle le soit nécessite de revoir beaucoup de choses, à commencer par la façon dont on imagine la classe, les apports pédagogiques, etc. 

D’autres projets se construisent dans des entreprises, des collectivités, des centres de formation. L’inclusion n’en est qu’à ses débuts mais chacune des graines que nous plantons ensemble permettra, j’en suis certaine, l’émergence d’un monde plus solidaire.

Un grand merci à Laure pour son éclairage inspirant sur l’inclusion ! Vous pouvez la retrouver sur son site internet et sur sa page LinkedIn.

S'inscrire à la newsletter

Vous souhaitez en savoir plus sur One RH ?

Contactez-nous